et un paysage m’est apparu, remplaçant
      l’arbre derrière la fenêtre
      par une côte mal goudronnée

avec, à son sommet, un étal de fruits
      devant une caravane ;


une femme en sortit – et je sus que
      j’avais dix ans, onze peut-être,
      j’étais dans ce village d’hiver
      où les marchands utilisent
      des balances de plomb :

                  vérifie bien que les plateaux
                  sont au même niveau
                  quand tu achètes les citrons,


mais tout ce que je vis c’est qu’ils étaient
      roses : si roses que tout
      s’était figé autour :

la balance ne tanguait plus
      et rien d’autre n’existait
      que le rose
                                              			des citrons –

comme des, si l’on veut, pamplemousses –
      ni jaune-soleil ni orange-espagnol
      mais proprement

roses : une lumière qui s’ouvrait, entière,
                                        				sucrée :


ces citrons que je n’avais jamais vus,
      dont j’ignorais que rose
      leur était une couleur,

qui n’étaient pas des citrons mais

      des mots	sur une page
				derrière une fenêtre
				en haut d’une côte

étaient devenus tout : la route gris-asphalte
      en avait pris les reflets, l’air en avait
      le goût, le petit ruisseau s’était rempli
      de citrons roses et se réduisait en aval
      à un filet d’or –


puis un arbre a poussé devant la caravane,
      l’a recouverte de son feuillage et
      me revoilà derrière la fenêtre


avec pour dessert des citrons     	         roses.